La lente Loire passe altière et, d'île en île,
Noue et dénoue, au loin, son bleu ruban moiré ;
La plaine mollement la suit, de ville en ville,
Le long des gais coteaux de vigne et de forêt ;
Elle mire orgueilleuse aux orfrois de sa traîne
Le pacifique arroi de mille peupliers,
Et sourit doucement à tout ce beau domaine
De treilles, de moissons, de fleurs et d'espaliers…
Ce jardin fut le nôtre ; un peu de temps encor,
Ta douce main tendue en cueillera les roses ;
J'ai regardé fleurir dans sa lumière d'or
La fine majesté des plus naïves choses :
Les reines ont passé - voici la royauté
Des Lys, que leur blason au parterre eût ravie,
Et voici fraîche encor d'éternelle beauté
La frêle fleur éclose à l'Arbre de la Vie.
Francis Vielé-Griffin
[Ce poème a été publié par Francis Vielé-Griffin dans le recueil La Clarté de Vie par le Mercure de France en 1897.
C'est le premier texte des "Chansons à l'ombre", pp. 9-10. On le trouve ici et là sur Internet avec des fautes mineures répétées par la pratique du copier/coller. En principe il est ici tel que l'auteur l'avait voulu. Ceux de nos lecteurs qui se poseraient des questions sur le mot orfrois (vers 5) sauront qu'il s'agit de broderies, souvent sur des vêtements ecclésiastiques, et que le mot arroi (vers 6) évoque l'apparat, si cela peut calmer leur désarroi.
Au début du livre La Clarté de Vie, on trouve cette dédicace, que l'auteur signe de ses initiales : "Au printemps de Touraine, son hôte ébloui et reconnaissant." C'est qu'il y vivait : au château de la Thomasserie à Vallières-les-Grandes (Loir et Cher), de 1914 à 1926, non loin d'Amboise. Auparavant, de 1887 à 1896, il avait habité le chàteau de Nazelles. (Ce château est aujourd'hui transformé en hôtel et on peut dormir dans la chambre du poète. Voyez l'historique et écoutez les Soirées de Nazelles de Francis Poulenc.)
Plus tard, il suivit l'Amasse et alla vivre rue de la Concorde à Amboise.
Sur Vielé-Griffin, lisez la notice Wikipédia. On peut aussi consulter le texte de la causerie "Francis Vielé-Griffin (1863 - 1937), poète de la Loire" faite en août 2000 par Catherine Réault-Crosnier. Les citations sont nombreuses et utiles.
Le portrait par Jean Veber le montre en 1898, à l'époque de la lente Loire…]