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27 mai 2010 4 27 /05 /mai /2010 19:28

Nous avons à la BMV quelques livres écrits par des écrivains haïtiens, dans leur pays ou dans l'exil. Dans notre fonds, on trouve René Depestre, Dany Laferrière, Lyonel Trouillot, Jacques Roumain.   

C'est trop peu, si on pense à la vitalité de cette écriture.

C'est trop peu, si on pense à l'intérêt que nous avons pour ce pays qui vit des heures dramatiques.

Pour en savoir plus, utilisez comme outil d'investigation le portail d'Haïti

sur Wikipédia et naviguez, et surtout la page "Antilles/Caraïbes" sur le site

"île en île" que fait Thomas C. Spear  au Lehman College, CUNY (City University of New York), et qui nous plonge dans la littérature de ce peuple.

 

 

Nous parlerons aujourd'hui du livre de Jacques Roumain, Gouverneurs de la rosée.

 

C'est le classique incontournable, de la littérature haïtienne sans doute, mais il a sa place dans la littérature universelle et sa lecture apporte un grand bonheur.

Ecrit dans les années 30 et publié en 1944, juste après la mort de l'auteur, il décrit le quotidien des travailleurs agricoles. Leur vie n'a guère changé depuis. La misère est toujours aussi grande. Les ennemis sont les mêmes : la nature, belle mais souvent hostile, sans oublier les dommages infligés par les hommes ; les exploiteurs, Haïtiens eux aussi, mais qui utilisent leur pouvoir dès qu'ils en ont une parcelle pour asservir les autres. Le malheur vient aussi d'antagonismes locaux, dont l'auteur montre qu'ils sont dérisoires devant les problèmes réels.

La misère urbaine, les bidonvilles, sont absents des Gouverneurs de la rosée, car c'est ensuite que la démographie galopante a fait son œuvre, et aussi parce que Jacques Roumain veut nous montrer dans une épure exemplaire le problème fondamental.

Sa thèse est qu'il faut réagir, agir. La résignation devant le malheur qui fait dire à la vieille Délira "l'homme est abandonné" est une impasse. Les résignés accusent Dieu, "le créateur de la misère", mais "c'est pas Dieu qui abandonne le nègre, c'est le nègre qui abandonne la terre et reçoit sa punition…" L'idéologie de la religion officielle (catholique) et de la religion africaine (les loa) ne propose, selon Jacques Roumain, que "des bêtises et des macaqueries". Tout en étant très critique à l'égard de l'usage qui est fait des traditions religieuses, en particulier autour des loa, les dieux africains, le héros du livre, Manuel, porte-parole de l'auteur, voit bien leur pouvoir de création d'une fraternité. Il boit comme les autres du clairin, cet alcool de canne à sucre qui apporte l'oubli, mais il n'accepte pas l'aliénation qui va avec : il veut sa lucidité pour agir.

A travers les difficultés liées au milieu hostile, ici, dans le roman, la sécheresse totale, et le drame des personnages principaux (les amours tragiques de Manuel le clairvoyant et de la très belle Annaïse, lucide elle aussi), il se dégage une leçon : les Haïtiens doivent d'abord prendre leur destin entre leurs mains, sans attendre que l'aide vienne de l'extérieur. L'auteur décrit longuement le pouvoir de l'action collective, ce "coumbite" ou travail en commun, pour le bien de chacun. Le roman nous conduit vers cette victoire commune, obtenue à travers la douleur.

Le titre, trouvaille langagière de Jacques Roumain, est une expression qu'il affectionnait particulièrement. La "rosée", ce n'est rien, et ces Haïtiens sont bien riches de rien du tout (comme dans Porgy and Bess où il est chanté : I've got plenty o' nothing…).

Mais aussi ils ont du pouvoir. C'est ce qu'exprime le mot "gouverneurs". Eux seuls peuvent prendre leur destin entre leurs mains sans attendre qu'on leur déverse de bons sentiments. Cette apparente contradiction est exprimée par Jacques Roumain en 1937 : "ces paysans noirs, travailleurs acharnés, dont il suffirait de citer le titre magnifique qu'ils se décernent à eux-mêmes : gouverneurs de la rosée, pour définir leur dénuement et l'orgueil qu'ils éprouvent de leur destin."(On lira avec profit ce qu'écrit sur l'expression Léon-François Hoffmann.)

On parle beaucoup, aujourd'hui, de la dépendance de ce peuple. "C'est le plus pauvre de la terre…", "Ils ont si besoin qu'on les aide…", etc. Mais ce peuple apprend, dans le malheur, à compter sur lui-même.

Cette leçon, prise ici dans le livre de Jacques Roumain, est bien connue, et partout. On pourrait citer ce proverbe chinois qui dit qu'il vaut mieux apprendre à pêcher qu'attendre qu'on vous donne du poisson.

 

Il faut lire Gouverneurs de la rosée, "cœur inépuisable" comme le tambour sur la plaine.

 

Haiti--secheresse-a-Lociane.jpg

 

Cette photo de 2010 représente la campagne haïtienne à Lociane, en pleine sécheresse ; elle provient du journal Le Nouvelliste.

 

BC

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