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28 avril 2010 3 28 /04 /avril /2010 23:55

Pour clore la 4e saison des "Mille Lectures d'Hiver", les accueillants (dont nous sommes avec beaucoup d'autres) étaient conviés par Livre au Centre à assister à une "lecture" des Vies minuscules de Pierre Michon. Une ou deux "vies" par département (et pour l'Indre-et-Loire, c'était celles d'André Dufournot et d'Antoine Peluchet, à Montlouis) ou bien la totalité (presque) des nouvelles à Meung-sur-Loire, dimanche 25 avril de 15 heures à… environ 23 heures, avec, rassurez-vous, quelques petites interruptions.

C'est de cette dernière présentation que je voudrais dire quelques mots, parce que les "vies" y étaient toutes (presque) et qu'on voyait mieux le travail théâtral du metteur en scène, Jean-Christophe Cochard. Cliquez ici si vous voulez le détail du spectacle, en demandant ensuite le fichier sur les "Fêtes de fin…", vous aurez les dates, les lieux et les noms de tous les comédiens.

 

Brièvement, à propos de l'autobiographie affirmée par la 4e de couverture, nous avons globalement un portrait de Pierre Michon : sans doute il omet et en remet, mais dans l'ensemble c'est lui, ou le narrateur en tout cas, et cette voix, ce "je", est un lien qui nous accompagne d'une "vie" à l'autre.

La "Vie de Claudette" n'était pas prévue. Le romancier lui-même a hésité "peut-être elle est morte. […] Qu'elle ne se souvienne pas de moi." De plus cette histoire répète ce qui est dit de Marianne ; quelques femmes du narrateur passent dans ces "vies" autobiographiques. A Meung, un comédien a dit quelques lignes de "Claudette" : "le soir de fin d'été courait sur les rails éclatants, les trains brûlants rutilaient. J'hésitai vaguement entre plusieurs destinations ; un sort farceur ou blasé jeta les dés, je montai dans un wagon, les aiguillages firent le reste…", évocation qui rend bien la complexité des destinées, ce mouvement du passé vers le présent puis vers le néant.

Si Michon parle principalement de vies d'hommes, les femmes, on le voit, ne sont pas absentes. Il nous est longuement parlé de Clara, la grand-mère paternelle "image de la mort inquiète", et de son amour infirme qui s'exprime maladroitement. Le metteur en scène a choisi de ne pas faire apparaître de femme. Sans doute le je qui parle par différents corps est masculin. Mais il y a aussi des femmes. Elles auraient dû apparaître. J'ai parlé de Clara. Il y a Elise, la grand-mère maternelle, les compagnes du narrateur, Claudette et surtout Marianne, si maltraitée (on dirait en anglais long-suffering). L'auteur leur a assez souvent "froissé la jupe", elles aussi avaient le droit de parler.

 

Mais une fois dit ce regret, je ne puis que faire l'éloge du reste de l'œuvre. C'est une "lecture dramatisée", ce n'est pas tout à fait du théâtre. Quoique. Deux comédiens sont sur scène, les autres sont toujours là, comme nous, et ils écoutent. Souvent, la gorge serrée, nous voyons les êtres abolis prendre vie. Ainsi Achille, le prof de latin chahuté, incarné de façon incomparable par Jean-Christophe Cochard.

Le texte vit sur la scène noire comme il vit dans la conscience du lecteur, avec ses répétitions, ses obsessions, les objets dérisoires soudain habités. Cette auto-destruction pratiquée par Pierre Michon, boire, dormir, se dérober, sort du texte pour devenir palpable grâce à la scène. On a vu, dans ces Vies minuscules, la conséquence de la fuite du père. On peut voir aussi dans la biture, la violence et l'incapacité d'écrire une recherche véhémente d'un au-delà des mots, d'une sorte de magma premier (dont le poète Yves Bonnefoy, par exemple, est sans cesse à la poursuite). Nous entendons les phrases de Pierre Michon et nous voyons ce désespoir, dans une adéquation rare du spectacle et de l'idée évoquée.

A la lecture, le texte de Pierre Michon frappe par une langue précieuse, recherchant toujours le mot juste et maniant sans cesse les passés simples et les subjonctifs, dans une quête constante du vrai. Et à l'oral on les entend évidemment. C'est une langue que personne ne parle plus. Elle est là pour nous dire, pour nous faire saisir, l'effort continu de l'écrivain.

 

La photo qui illustre ce billet ne vous dira rien du théâtre. J'ai bien entendu "Il est interdit…" (air connu) et donc j'ai photographié autre chose que ce que je voyais sur la scène. C'est l'eau des Mauves de Meung, qui passe tout près de La Fabrique où nous étions pour voir la parole de Pierre Michon ; cette eau traverse la ville et se jettera plus loin dans la Loire qui nous unit.

 

IMG 4842

 

On peut trouver dans notre fonds à la Bibliothèque de Vouvray, les Vies minuscules (1984), Rimbaud, le fils (1991) et aussi le dernier livre de Pierre Michon, Les Onze (2009).

 

Ce spectacle représente beaucoup de travail. J'espère qu'il pourra être montré ailleurs.

 

BC

 

 

 

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